Le documentaire « Chasing Trane » explore la vie et l’œuvre du saxophoniste de jazz John Coltrane. Il met en lumière son évolution musicale, de ses débuts influencés par Charlie Parker à ses collaborations avec Miles Davis et Thelonious Monk. Le film aborde également ses luttes contre la dépendance, son éveil spirituel et la composition d' »A Love Supreme », son chef-d’œuvre. Il explore son engagement pour la paix, son voyage à Nagasaki et son influence durable sur la musique et la culture.
Le documentaire (à retrouver à la fin de cet article) présente également des témoignages de musiciens, de proches et d’experts qui offrent une perspective unique sur le génie et l’héritage de Coltrane.
John Coltrane, un nom qui résonne avec le génie artistique et la grandeur spirituelle. Son parcours musical est une puissante illustration de la force de caractère, du sacrifice et de la conscience de toucher cette étincelle divine qui réside en chacun de nous. Coltrane n’était pas simplement un saxophoniste; il était un visionnaire, un chercheur et un conteur, qui utilisait sa musique comme moyen d’explorer les profondeurs de l’expérience humaine et d’exprimer son amour profond pour le divin.
Les racines d’un géant du jazz
Né dans la petite ville de Hamlet, en Caroline du Nord, en 1926, John Coltrane a grandi dans le Sud ségrégué de l’Amérique, une région à la fois marquée par la douleur et imprégnée du potentiel artistique. La musique noire, née de la terreur et des traumatismes, est devenue une source de réconfort et d’expression pour les communautés marginalisées. L’influence de l’église noire, où ses deux grands-pères étaient pasteurs, a profondément marqué Coltrane, mêlant intimement spiritualité et musique dès le début.
Les premières années de Coltrane ont été marquées par la perte. Entre ses 12 et 14 ans, il perd son père, son oncle, son grand-père et sa grand-mère. Ces décès consécutifs ont eu un impact profond sur le jeune John, qui s’est tourné vers la musique comme une bouée de sauvetage. Il est passé de la clarinette au saxophone alto, trouvant dans la musique un moyen de faire face aux dures réalités de la vie.
En 1943, Coltrane déménage à Philadelphie pour rejoindre sa mère, qui avait migré vers le nord à la recherche de travail. Il reprend ses études musicales et prend des cours particuliers de saxophone. C’est à cette époque qu’il rencontre Charlie Parker, une rencontre qui allait changer à jamais sa trajectoire musicale.
L’impact de Charlie Parker
Le 5 juin 1945, John Coltrane voit Charlie Parker (surnommé Bird « l’oiseau » et Yard-bird « bleusaille » à ses débuts lorsque les autres musiciens ne l’épargnaient pas) jouer pour la première fois, un événement qui l’a époustouflé. L’innovation, l’audace et la créativité de Parker (repris dans le documentaire ci-dessous et sinon le film qui lui est dédié par Clint Eastwood) ont profondément marqué Coltrane, qui a reconnu en lui un génie et une source d’inspiration. L’influence de Parker est perceptible dans les premiers enregistrements de Coltrane en 1946, alors qu’il était stationné à Pearl Harbor avec la Marine, où il imite le style de son héros.
Après un an dans la Marine, Coltrane retourne à Philadelphie et se lance dans une carrière de musicien professionnel, jouant avec divers groupes pour gagner sa vie et parfaire ses compétences. Il rejoint Dizzy Gillespie de 1949 à 1951 (que j’ai vu jouer par hasard à New York en 1990. Je me rappelle encore des ses énormes joues lorsqu’il soufflait dans sa trompette. Très âgé, il était soutenu littéralement par son fils. Il mourra le 6 janvier 2023), une expérience qu’il décrit comme un rêve devenu réalité. Gillespie, un musicien merveilleux et un génie, a reconnu le potentiel de Coltrane et l’a encouragé à grandir. Coltrane s’entraînait sans relâche, passant des heures à perfectionner son art, déterminé à maîtriser son instrument.
La spirale de la dépendance et l’éveil spirituel
Malgré son talent et son travail acharné, Coltrane a lutté contre la dépendance. Il a sombré dans la consommation d’héroïne et d’alcool, succombant au mythe selon lequel les drogues améliorent les capacités artistiques. Sa dépendance l’a rendu peu fiable, ce qui a conduit Miles Davis à le renvoyer de son groupe. Ce renvoi a été un tournant dans la vie de Coltrane, le forçant à faire face à ses démons et à choisir entre l’autodestruction et la rédemption.
À un moment critique de sa vie, Coltrane a pris la décision de se désintoxiquer. Il a arrêté la drogue « d’un coup », sans assistance médicale ni soutien institutionnel. Grâce à une force de volonté et à une foi inébranlables, il a surmonté son addiction et a connu un éveil spirituel en 1957. Cet éveil l’a conduit à consacrer sa vie à rendre les autres heureux grâce à sa musique.
Renaissance musicale et leadership
Après s’être « nettoyé », l’énergie et la créativité de Coltrane ont atteint de nouveaux sommets. Il a rejoint Thelonious Monk en juillet 1957, une collaboration qui a considérablement influencé son développement musical. Monk, un génie musical, a aidé Coltrane à développer son propre son et à gagner en confiance. En 1957, Coltrane enregistre son premier album (tout simplement intitulé Coltrane) en tant que leader, qui le présente comme une nouvelle étoile du saxophone ténor.
À la fin de 1957, Coltrane rejoint le groupe de Miles Davis, mais cette fois, il a une meilleure idée de qui il est en tant que musicien. Davis lui a donné beaucoup d’espace pour explorer et développer son propre style, lui permettant de jouer de longs solos et de repousser les limites de son jeu. L’album « Kind of Blue », sur lequel Coltrane a joué avec Davis, est considéré comme l’un des plus grands albums de tous les temps et une clé pour comprendre la direction que Coltrane prendrait dans les années 1960. Ci-dessous, l’immense So What.
En 1959, Coltrane sort « Giant Steps », un album qui met en valeur ses talents de compositeur et de saxophoniste. Chaque morceau de l’album est composé par Coltrane, ce qui témoigne de son génie musical et de son innovation. Cependant, Coltrane a fini par dépasser les limites du groupe de Davis, sentant que sa musique ne correspondait plus à sa vision.
L’exploration spirituelle et l’innovation musicale
Après avoir quitté Miles Davis, Coltrane s’est lancé dans une quête musicale et spirituelle qui l’a conduit à explorer de nouvelles voies et à repousser les limites du jazz. Il s’intéresse aux religions orientales, à la spiritualité universelle et aux concepts de l’infini, cherchant à intégrer ces idées dans sa musique.
En 1960, Coltrane a connu un succès radiophonique incroyable avec sa version de « My Favorite Things » de la comédie musicale « La Mélodie du bonheur ». Ce morceau met en valeur sa capacité à transformer une mélodie de Broadway en quelque chose de magnifique et de spirituellement résonnant. L’intention de Coltrane était de rassembler les gens grâce à sa musique, en intégrant diverses influences culturelles et spirituelles.
Coltrane a constamment expérimenté de nouvelles approches et de nouveaux sons, cherchant à se dépasser et à évoluer en tant que musicien. Son insatiable curiosité et son désir de grandir l’ont poussé à explorer des territoires inexplorés, ce qui en fait une figure véritablement innovante dans le monde du jazz.
Le Classic Quartet et « A Love Supreme »
L’évolution des groupes de John Coltrane a abouti à la formation du Classic Quartet, composé d’Elvin Jones, McCoy Tyner et Jimmy Garrison. Ce groupe était connu pour son inventivité, sa confiance mutuelle et son engagement à explorer de nouveaux territoires musicaux. Les membres du Classic Quartet étaient des originaux qui ont contribué à la capacité de Coltrane à voler et à percevoir l’univers à travers la musique.
En 1964, Coltrane sort « A Love Supreme », un album considéré comme son chef-d’œuvre et une expression profonde de sa spiritualité. Cet album est une humble offrande à Dieu, une tentative de dire merci à travers la musique et le cœur. « A Love Supreme » englobe tout le mysticisme et la conscience de Coltrane, exprimant pleinement son message.
La deuxième partie de « A Love Supreme » touche particulièrement l’âme, transportant l’auditeur au paradis. L’audace d’adresser les cieux avec un groupe de jazz témoigne du caractère unique de la vision de John Coltrane. « A Love Supreme » est un album qui inspire l’élévation spirituelle, touchant l’âme d’une manière qui vient d’un autre lieu.
Conscience sociale et paix
La musique de John Coltrane était profondément enracinée dans l’expérience afro-américaine et dans la condition humaine. Il était conscient des injustices et des luttes auxquelles étaient confrontés les Noirs aux États-Unis et utilisait sa musique pour exprimer sa solidarité et son espoir de changement.
En réponse à l’attentat à la bombe contre une église de Birmingham, en Alabama, qui a coûté la vie à quatre jeunes filles noires, Coltrane a écrit « Alabama », une pièce musicale poignante qui capture la douleur et la souffrance de l’époque. Il s’agit d’une complainte qui crie de douleur, soutenue par l’amour, reflétant les discours de Martin Luther King Jr. et exprimant l’espoir et le courage nécessaires aux Noirs américains.
L’engagement de Coltrane envers la paix et l’amour s’étendait au-delà des frontières de son pays. Lors d’une tournée au Japon en 1966, il s’est rendu à Nagasaki, où il a prié pour les victimes de la bombe atomique et a cherché à capter les sons de la tragédie. Il a interprété « Peace on Earth » lors d’un concert à Nagasaki, offrant du réconfort et de l’espoir à une ville encore marquée par la dévastation.
Les dernières années et l’héritage
À la fin de sa carrière, Coltrane continue de repousser les limites de sa musique, explorant de nouvelles idées et de nouveaux sons qui ont mis certains auditeurs au défi. Il élargit son groupe, en intégrant sa femme Alice Coltrane au piano et Pharoah Sanders au saxophone entre autres (que j’adorais aussi. Hormis ses grands classiques, un album incroyable de 1996 « Message from home » faisant références aux racines africaines. Un extrait ci-dessous). Bien que certains critiques aient estimé qu’il s’égarait, Coltrane est resté fidèle à sa vision, cherchant à élever et à inspirer les autres grâce à sa musique.
John Coltrane est décédé d’un cancer du foie le 17 juillet 1967, à l’âge de 40 ans. Sa mort prématurée a été une perte profonde pour le monde de la musique, mais son héritage continue d’inspirer et de résonner auprès des auditeurs du monde entier. Il a tellement révolutionné son art en une vingtaine d’années ! À la fin du documentaire, il est comparé à Picasso. Sachant que le peintre espagnol a vécu jusqu’à ses 92 ans…
La musique de Coltrane transcende le temps et l’espace, touchant le cœur et l’âme de ceux qui l’écoutent. Son exploration de la spiritualité, de la conscience sociale et de l’innovation musicale en fait une figure véritablement mythique dans l’histoire du jazz. Son sacrifice et son dévouement à son art témoignent du pouvoir de la musique à transformer les vies et à créer un monde meilleur.
Conclusion
John Coltrane était plus qu’un simple musicien ; il était un chercheur spirituel, un innovateur et un conteur qui utilisait sa musique pour explorer les profondeurs de l’expérience humaine et exprimer son amour profond pour le divin.
Son parcours musical, marqué par la perte, la dépendance et l’éveil spirituel, témoigne de la force de l’esprit humain et du pouvoir transformateur de la musique. L’héritage de Coltrane continue d’inspirer et d’élever les auditeurs du monde entier, nous rappelant la magnificence et la beauté de l’univers et le potentiel qui est en nous de créer un monde meilleur.
Son message est simple : rechercher A Love Supreme / un amour suprême et laisser un peu de paradis derrière soi partout où l’on va.
Bonus : Il y a un album de John Coltrane que j’adore et que j’ai beaucoup écouté lorsque les enfants étaient petits en Nouvelle-Calédonie. Lors de soirées musique, ils s’en rappellent très bien lorsque je passe des sons de « Ballads ».