La pratique de la haute densité dans un vignoble consiste à planter les vignes à une densité beaucoup plus élevée que dans les plantations traditionnelles. La densité « classique » est d’environ 5 000 pieds à l’hectare avec 2 mètres d’espacement entre les rangs (pour laisser passer les engins agricoles) et un mètre sur le rang entre les pieds de vignes. Quoiqu’il en soit, le cahier des charges des appellations règlemente la densité des plantations, tout comme le rendement, l’utilisation de produits phytosanitaires, l’irrigation etc…
Cela signifie que les rangées de vignes sont plus étroites (jusqu’à 1 mètre), avec moins d’espace entre les vignes (ce qui favorise le travail manuel ou alors l’utilisation d’engins type enjambeurs plutôt que des tracteurs) et les pieds de vigne sont souvent espacés plus près les uns des autres (0,90 à 1 mètre). https://viticulturevignoble.fr/combien-plants-vigne-contenir-terrain.html
L’objectif principal de cette méthode est d’optimiser l’utilisation de l’espace, d’améliorer la qualité du raisin en encourageant la concurrence entre les vignes pour les ressources, et de permettre une meilleure gestion des ressources telles que l’eau et les nutriments du sol.
Un peu d’histoire…
Du point de vue historique, la pratique de la haute densité en viticulture n’est pas nouvelle et peut être retracée à plusieurs siècles en arrière. Il y a eu un coup d’arrêt avec l’arrivée du phylloxera aux 19 ième siècle (1863) qui a dévasté les vignobles Français. Puis au sortir de la seconde guerre mondiale où il a fallu produire de manière industrielle pour nourrir la population. https://histoire-agriculture-touraine.over-blog.com/2021/12/vigne-en-foule.html
Cependant, elle a connu un regain d’intérêt plus récemment, au cours des dernières décennies, en raison de son efficacité dans la production de raisin de haute qualité et de son potentiel pour la durabilité environnementale.
L’une des premières régions où la haute densité a été largement adoptée dans le monde viticole est la Bourgogne, en France. Les vignobles de la Bourgogne ont longtemps été connus pour leur utilisation de la haute densité, avec des vignes plantées étroitement les unes contre les autres pour maximiser l’interaction avec le terroir et concentrer les arômes et les saveurs dans le raisin. Cette pratique remonte à plusieurs siècles, et elle est un élément fondamental de la tradition viticole bourguignonne.
“En Bourgogne, d’après les écrits du Moyen-Age jusqu’à l’apparition du phylloxéra ( XIXème siècle ), la vigne était cultivée à haute densité soit environ 20 000 à 30 000 pieds par hectare. Cette haute densité était le fruit des observations et des expériences de nos ancêtres qui avaient constaté une concurrence bénéfique pour le système racinaire, la qualité des raisins et du vin » précise Olivier Lamy un vigneron bourguignon habitué aux densités élevées (10 000 pieds/hectare) a décidé de planter avec encore plus de densité en 2001 https://www.laroutedesblancs.com/35-domaine-hubert-lamy
I. Les avantages de la haute densité en viticulture
La plantation en haute densité est devenue une pratique de plus en plus répandue dans le monde viticole, et ce choix n’est pas fait au hasard. Cette méthode présente une série d’avantages qui contribuent à l’amélioration de la qualité du raisin et à l’augmentation de la productivité tout en favorisant la réduction des coûts de production.
Selon un document de France Agrimer du 18 septembre 2018 dans le cadre de la restructuration du bassin viticole Vallée du Rhône-Provence :
« L’augmentation de la densité peut se révéler positive lorsqu’il y a assez d’eau ; ce qui n’est cependant pas le cas dans certains terroirs ou certains millésimes. La conduite d’un vignoble en haute densité concilie amélioration de la qualité et augmentation du rendement.
Une plus forte densité se conjugue avec une rentabilité accrue des exploitations. En effet, la densité de plantation joue un rôle important sur la vigueur des souches et la qualité du raisin obtenue.
Pour un rendement à l’hectare identique, une augmentation de la densité permet une amélioration générale de la qualité :
- vigueur et production individuelle des souches plus faibles
- meilleure alimentation des raisins
- maturité plus précoce
- concentration plus élevée des anthocyanes et des polyphénols en général
En effet, la concurrence entre les pieds pousse les racines à se développer en profondeur pour y puiser l’eau. La haute densité de plantation améliore également la richesse en sucres, la précocité de la vigne ainsi que les degrés potentiels du fruit (source ICV), ou encore l’acidité des blancs.
L’augmentation de la densité permet, sur des territoires relativement riches en eau, de mieux maîtriser la vigueur, d’accroître les réserves dans le vieux bois (racines, tronc et bras), d’équilibrer la charge et d’amortir l’impact des maladies du bois.
À charge égale, la production augmente quand diminue la densité de plantation (car chaque cep est taillé plus long)
A. Amélioration de la qualité du raisin
Concentration des arômes et des saveurs
La concentration des arômes et des saveurs est l’un des principaux avantages de la plantation en haute densité. En réduisant l’espace entre les rangées de vignes et en densifiant la plantation, chaque pied de vigne dispose de moins d’espace pour étendre ses racines. Cette concurrence entre les vignes oblige les racines à plonger plus profondément dans le sol à la recherche de nutriments et d’eau, ce qui contribue à une concentration accrue des arômes et des saveurs dans les raisins.
Un exemple flagrant de cette concentration se trouve dans les prestigieux vins de Bourgogne en France. Les vignobles de la Bourgogne sont souvent plantés en haute densité, ce qui donne naissance à des vins renommés pour leur complexité aromatique et leur caractère distinctif.
Meilleure maturité des raisins
La haute densité favorise également une meilleure maturité des raisins. En réduisant la concurrence entre les vignes pour l’accès à la lumière du soleil, chaque grappe de raisin reçoit une exposition optimale, permettant ainsi une maturation plus uniforme et complète.
Les vins de la Napa Valley en Californie illustrent parfaitement cet avantage. De nombreux vignobles de la Napa Valley ont adopté la plantation en haute densité pour maximiser la qualité de leurs raisins, produisant ainsi des vins qui rivalisent avec les meilleurs au monde en termes de maturité et de richesse aromatique.https://www.larvf.com/,vins-americains-etats-unis-meilleurs-crus-californie-oregon-washington-napa-valley-cabernet-sauvignon-merlot-bernard-portet,103,4242452.asp et http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/etats-unis-espaces-de-la-puissance-espaces-en-crises/articles-scientifiques/le-vignoble-californien-vignoble-de-la-mondialisation
B. Augmentation de la productivité
Plus de raisins par hectare
L’un des avantages les plus évidents de la plantation en haute densité est l’augmentation significative de la productivité. En plantant davantage de vignes par hectare, les viticulteurs peuvent récolter un nombre plus élevé de grappes de raisin, ce qui se traduit par une plus grande quantité de vin produit.
Les vignobles de la Rioja en Espagne sont un exemple éloquent de cette pratique. La région de la Rioja est réputée pour ses vignobles densément plantés qui permettent de produire une grande quantité de raisin de haute qualité, constituant ainsi la base des vins renommés de la région. https://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1415
Réduction des coûts de production
En augmentant la productivité par hectare, la plantation en haute densité permet également de réduire les coûts de production par unité de raisin récolté. Moins d’espace est nécessaire pour obtenir la même quantité de raisin, ce qui signifie moins de main-d’œuvre, moins de ressources et moins d’énergie dépensées.
Les vignobles en Nouvelle-Zélande sont un exemple remarquable de la manière dont la haute densité peut réduire les coûts de production. Cette approche a contribué à la croissance de l’industrie viticole néo-zélandaise en produisant des vins de qualité à des coûts compétitifs sur le marché international. https://www.franceagrimer.fr/fam/content/download/48454/document/SYNTHESE%20FILIERE%20NZ.pdf?version=4
II. Gestion efficace des ressources
La haute densité en viticulture ne se limite pas à l’amélioration de la qualité du raisin et à l’augmentation de la productivité ; elle permet également une gestion efficace des ressources viticoles. Cette approche favorise une utilisation optimale de l’espace et une conservation judicieuse de l’eau, tout en permettant la culture sur des terrains pentus et en réduisant l’érosion du sol.
A. Utilisation optimale de l’espace
Moins d’espace entre les rangées de vignes
L’un des aspects clés de la haute densité en viticulture est la réduction de l’espace entre les rangées de vignes. Cette disposition resserrée permet d’exploiter au maximum la surface du vignoble, optimisant ainsi la production de raisin par unité de superficie.
Un exemple remarquable de cette pratique se trouve dans les vignobles en Italie, en particulier dans des régions comme la Toscane. Les vignobles toscans sont célèbres pour leurs rangées de vignes rapprochées, ce qui permet de produire des vins prestigieux tout en maximisant l’utilisation de l’espace disponible.
Possibilité de cultiver sur des terrains pentus
La haute densité offre également la possibilité de cultiver sur des terrains pentus, là où une plantation traditionnelle serait moins praticable. En espaçant les vignes de manière plus dense, il est possible de s’adapter à des pentes plus prononcées, préservant ainsi la topographie du terroir.
Les vignobles en Suisse en sont un excellent exemple. La Suisse, connue pour son paysage montagneux, a adopté la haute densité pour cultiver sur des terrains en pente, produisant ainsi des vins de qualité exceptionnelle dans des conditions géographiques difficiles.
B. Économie d’eau
Irrigation plus précise
La haute densité permet une irrigation plus précise des vignes. En réduisant l’espace entre les rangées, les systèmes d’irrigation peuvent être mieux ciblés, ce qui minimise le gaspillage d’eau. Les viticulteurs peuvent ajuster l’apport en eau en fonction des besoins spécifiques de chaque vigne, favorisant ainsi une croissance optimale.
Les vignobles en Australie sont un exemple probant de l’utilisation de cette technique pour économiser de l’eau. Dans les régions australiennes arides, la haute densité en viticulture a permis de maintenir une production de raisin stable tout en conservant les précieuses ressources en eau.
Réduction de l’érosion du sol
En plantant en haute densité, la couverture végétale au sol est maximisée, ce qui réduit considérablement l’érosion du sol. Les racines des vignes maintiennent le sol en place, évitant son érosion par les pluies ou les vents violents.
Les vignobles en Argentine illustrent parfaitement cette vertu de la haute densité. La plantation dense contribue à la préservation des sols argentins, souvent sujets à l’érosion, en maintenant leur fertilité pour les futures récoltes.
La gestion efficace des ressources grâce à la haute densité en viticulture est un facteur majeur de durabilité et de succès pour de nombreux vignobles à travers le monde. Cette approche permet de tirer parti des conditions géographiques variées tout en conservant les ressources naturelles essentielles pour la viticulture.
III. Durabilité environnementale
La haute densité en viticulture contribue de manière significative à la durabilité environnementale des vignobles en réduisant l’empreinte carbone, en minimisant l’utilisation de pesticides, et en encourageant la biodiversité. Ces pratiques soutiennent une viticulture plus respectueuse de l’environnement.
A. Réduction de l’empreinte carbone
Moins de mécanisation nécessaire
La haute densité en viticulture nécessite moins de mécanisation que les plantations traditionnelles. Avec des rangées de vignes plus étroites, l’accès aux vignes est plus facile pour la main-d’œuvre, réduisant ainsi le besoin de machinerie lourde et de consommation d’énergie. Cela se traduit par une empreinte carbone réduite.
Les vignobles biodynamiques en France sont un exemple remarquable de cette approche durable. En privilégiant des méthodes de travail manuel et en évitant une mécanisation excessive, ces vignobles minimisent leur impact environnemental tout en produisant des vins de grande qualité.
Diminution de l’utilisation de pesticides
Une densité plus élevée de vignes peut favoriser une régulation naturelle des ravageurs, réduisant ainsi la nécessité d’utiliser des pesticides. Les rangées de vignes serrées créent un environnement moins favorable aux parasites, ce qui réduit la pression sur les vignes.
Les vignobles en Oregon, États-Unis, ont adopté cette approche en minimisant l’utilisation de pesticides. Cette région est réputée pour ses pratiques de viticulture durable, où la haute densité contribue à maintenir un écosystème équilibré.
B. Encouragement de la biodiversité
Création de couloirs écologiques entre les rangées de vignes
La haute densité en viticulture permet de créer des couloirs écologiques entre les rangées de vignes. Ces espaces offrent un habitat aux insectes bénéfiques, aux oiseaux et aux autres animaux, favorisant ainsi la biodiversité. Ces couloirs peuvent également servir de corridor pour les déplacements des animaux.
Les vignobles en Allemagne sont un exemple illustratif de cette pratique. La création de couloirs écologiques contribue à la préservation de la faune locale, soutenant ainsi un écosystème plus diversifié.
Favorisation de la vie microbienne du sol
La plantation en haute densité favorise également la vie microbienne du sol. Les racines des vignes contribuent à améliorer la qualité du sol en hébergeant une variété de microorganismes bénéfiques qui stimulent la fertilité du sol et réduisent la dépendance aux engrais chimiques.
Les vignobles en Espagne sont un exemple notable de cette approche. En favorisant la vie microbienne du sol, ils maintiennent des sols sains et fertiles tout en préservant l’équilibre de l’écosystème local.
En conclusion, la haute densité en viticulture n’est pas seulement bénéfique pour la qualité du raisin et la rentabilité des vignobles, elle contribue également à la durabilité environnementale en réduisant l’empreinte carbone, en préservant la biodiversité et en minimisant l’utilisation de produits chimiques nocifs. Cette approche s’inscrit dans une vision plus respectueuse de l’environnement, qui est de plus en plus recherchée dans l’industrie vinicole moderne.
Je vais expérimenter dans mon jardin en plantant 150 pieds de vigne en haute densité. Je vous tiendrai informé du résultat ! 🙂
Merci pour cet article très intéressant.
Je pensais en revanche qu’une densité plus importante faisait baisser un peu le rendement au global du fait de la forte concurrence (malgré le fait qu’il y ait en effet beaucoup plus de pieds).
Dans votre article vous dites que ça l’augmente. Est ce partout ?
Merci Anne-Sophie de me lire et pour votre commentaire. Pour la densité, je me suis appuyé sur des études citées dans l’article et l’expérience d’un collègue vigneron qui a planté en haute densité sur Patrimonio. Après, comme vous le savez, il y a tellement de paramètres qu’on ne maitrise pas tout…:-) Au plaisir d’échanger ! Joël
Merci pour votre réponse Joël. C’est bien vrai il n’y a jamais une vérité dans le vin ! Donc concernant votre collègue vigneron il a augmenté son rendement depuis qu’il a augmenté la densité de plantation ?
J’ai aussi entendu des cas inverses dans des endroits où il manque d’eau (vous l’évoquez d’ailleurs dans votre article).
Je vous en prie Anne-Sophie.
Mon collègue vigneron a planté récemment. Il lui faudra quelques années pour connaître le rendement « de croisière » de sa vigne. En tous cas, son objectif est bien de multiplier au moins par 2 le rendement par rapport à une plantation « plus classique » en terme de densité (environ 5 000 pieds/hectare). Aussi, sa volonté est de limiter l’usage de la mécanisation (tracteur) d’où la conduite de sa vigne sur échalas.
L’eau devient problématique peu importe la densité. L’irrigation peut-être une solution. Elle est interdite dans l’appellation Patrimonio. Les Bourguignon (couple d’agronomes qui a fondé son laboratoire indépendant depuis plus de 30 ans) la déconseillent tant à cause des dégâts sur l’environnement que sur la longévité des vignes et la qualité des raisins (les racines ont tendance à ne plus plonger en profondeur pour chercher l’eau).
En tous cas, je suis heureux de participer maintenant à ce nouveau monde qu’est l’agroécologie appliquée au vin (l’exemple de Cheval Blanc et son manifeste est très encourageant) car la réflexion et les actions qui en découlent s’intéressent à plusieurs facteurs complémentaires qui prennent en compte la vie du sol, sa protection, la vigne (et notamment la taille douce pour aider à lutter contre les maladies), l’agroforesterie, la polyculture et le petit élevage (poules, abeilles)
PS : Attention tout de même à respecter les cahiers des charges des appellations (comme je le rappelle dans mon article) qui indiquent, en autres, les rendements maximum. En tous cas, si on veut être en AOP ou IGP. Sinon, il faut être en Vin de France.